Françoise Sagan vit pied au plancher.
Elle aime le jeu, la fête, l’argent, fumer des cigarettes mentholées (elle les appelle ses Kool molles...), danser, boire, flamber aux tables de jeu, rouler à tombeau ouvert pieds nus, cheveux au vent en cabriolet de sport, Deauville, Megève, Saint-Tropez, ce qui n’empêche pas la dépression, la cocaïne, la mélancolie, la bisexualité (à son tableau de chasse, Ava Gardner, Juliette Gréco, Bettina Graziani, et surtout la styliste Peggy Roche, son grand amour).
Ça démarre sur les chapeaux de roues.
Son premier roman,
Bonjour tristesse, écrit à dix-huit ans, en dix semaines, fait un carton.
En trois mois, elle devient une star. Un an après la France, le livre bat tous les records de vente aux États-Unis.
On la découvre reporter pour
Elle, à la demande d’Hélène Gordon-Lazareff, la patronne du magazine qui capte au vol le succès de
Bonjour Tristesse : Françoise Sagan écrit ainsi des chroniques poétiques et tendres intitulées “Bonjour Naples”, “Bonjour Capri”, “Bonjour Venise”… Au cours de sa première séance de dédicaces à New York, elle signe
“With my all sympathies” avant de se rendre compte quinze jours plus tard que cela signifie
“Avec toutes mes condoléances”.
Subitement riche, elle demande conseil à son père, grand bourgeois, qui lui ordonne de tout dépenser.
Ce qu'elle ne manquera pas de faire...
Le roadster Jaguar qu’elle conduit pieds nus et cheveux au vent.
Avec Otto Preminger à Saint-Tropez, sur les lieux de tournage du film tiré de
Bonjour tristesse.
(Il est possible que ce soit Florence Malraux, à l'arrière...)
Une sublime Type-E drophead tellement british avec sa conduite à droite
Françoise Sagan roule vite.
Très vite.
Après le roadster Jaguar viennent d'autres voitures d'exception : une Gordini, une Buick et une A.C. Cobra, jusqu'à la fameuse Aston Martin immatriculée 5832-DT 75 dans laquelle elle risque se tuer le 14 avril 1957. Freinant brutalement dans un virage alors qu'elle est lancée à 160 km/h (elle vient de doubler la Peugeot 203 de Jules Dassin et Melina Mercouri), elle perd le contrôle de sa DB2/4 qui capote après roulé une vingtaine de mètres dans le fossé puis effectué un saut de trois mètres et deux tonneaux.
Ils sont trois devant.
Ejectés, le journaliste Woldemar Lestienne et Véronique Campion, l'amie d'enfance de Françoise, n'ont pas une égratignure.
On a parlé de pneus inégalement gonflés.
D'un blocage des roues avant.
Sur l'asphalte, bordé de gros cailloux, des bouts de gomme déchirés et dans le champ, un large trait de blé en herbe fauché. Et enfin le gros point noir de la voiture échouée, roues en l'air, offrant à l'air son ventre de hanneton.
Très grièvement blessée, il faut plus d'une demi-heure aux pompiers pour retourner la voiture et désincarcérer sa prisonnière, cependant qu'un prêtre lui administre les derniers sacrements. Entre le rebord chromé du pare-brise et la terre, il y a un espace d'à peine vingt centimètres. Ses fuseaux de velours vert déchirés laissent apparaitre sa cuisse écrasée et son sweat remonté découvre sa poitrine enfoncée. Du sang coule de sa tempe gauche... C'est un cycliste qui a donné l'alerte et les gendarmes arrivent une heure après l'accident: depuis un quart d'heure, Françoise est étendue sur un grand manteau noir.
Le gendarme qui la sort des tôles tordues s'appelle Boileau: "Elle râlait sans cesse, raconte-t-il. Une mousse rosâtre coulait de ses lèvres. Elle essayait de parler mais les mots ne sortaient pas."
Il tient à la main son permis de conduire, tout fripé et sale: "Pour un écrivain, elle ne prend guère soin de ses papiers...", remarque-t-il.
À sa sortie de l'hôpital, l'utilisation du Palfium pour calmer ses douleurs l'a rendue dépendante à la morphine.
On prétend qu'elle serait morte, seule et ruinée, le 24 septembre 2004 à l'hôpital de Honfleur.
Mais certains doutes persistent...
Et s'il vous arrive de croiser un roadster fonçant sur une petite route ensoleillée, c'est sûrement elle.
L'histoire finit bien...
Le splendide cabriolet DB2/4 de Sagan, en dépit de son piteux état, a été entièrement retapé et roule toujours.
Curieusement, dans le téléfilm
Sagan, la production a préféré utiliser une Facel Vega...!
Cette scène d'accident, réglée par Rémy Julienne, qui, dans la réalité, a eu lieu près de Milly-la-Forêt, a été tournée à Herbeville, petit village des Yvelines, fort charmant au demeurant.